Les #femmes #entrepreneurs et leur réseau professionnel : Une question d’opportunisme?
Au sommaire :
  1. Qu’est-ce qui différencie les femmes entrepreneurs de leurs homologues masculins ?
  2. Comment expliquer cette différence de comportement ?


La récente étude menée par Grenoble Ecole de Management pour Réseau Entreprendre® et Fédération Pionnières montre que les femmes entrepreneurs gèrent leur réseau différemment de leurs homologues masculins. Tandis que les hommes ont une approche « don – contre don », les femmes ont une conception plus opportuniste et efficace du réseau. Ceci n’est pas sans conséquence sur leur capacité à faire croitre leur entreprise.

Qu’est-ce qui différencie les femmes entrepreneurs de leurs homologues masculins ?

femme entrepreneuseOn sait qu’elles créent globalement moins d’entreprise (en moyenne 36% des entreprises sont créées chaque année par des femmes en France), que ces dernières sont surtout dans le domaine des services, qu’elles créent peu d’emplois (plus de la moitié des entreprises créées par des femmes sont mono-salariées).  Mais, au-delà de ces constats connus depuis longtemps, comment expliquer ces phénomènes ? Serait-ce lié à une différence en termes de visions, d’objectifs de réalisation ? D’accès limités à des ressources, en particulier aux ressources financières ? Cette tribune explore une explication : la femme entrepreneur gère son réseau de manière très spécifique.

On sait qu’une des conditions au succès entrepreneurial et à la croissance de l’activité réside dans le soutien dont bénéficie l’entrepreneur : soutien financier mais pas uniquement : soutien professionnel et aussi moral. Or, en la matière, la dernière étude réalisée par l’équipe de recherche de Grenoble Ecole de Management pour Réseau Entreprendre® sur l’entrepreneuriat féminin et la croissance de leur activité révèle des résultats inédits même si certains d’entre eux étaient prévisibles.

L’analyse des questionnaires auxquels près de 900 entrepreneurs, met en évidence que le réseau professionnel des femmes est similaire à celui des hommes : en moyenne un entrepreneur déclare appartenir à 2, éventuellement 3 réseaux différents. En tête d’affiche, figurent Réseau Entreprendre®, ce qui est normal puisque l’étude a été réalisée à partir du fichier de ce réseau, mais également le CJD ou l’APM. L’entrepreneur, homme comme femme, déclare y adhérer parce qu’il se sent aligné avec les valeurs déclarées dudit réseau et y puiser conseils professionnels et bonnes pratiques. La notion d’échange pour se rendre compte que « on n’est pas le seul à éprouver telle ou telle difficulté » est également soulignée.

Toutefois, des entretiens approfondis avec 40 entrepreneurs qui ont répondu au questionnaire montre aussi que, dans la composition du réseau de l’entrepreneur, les femmes ont tendance à rajouter des groupes informels de « copines », comprenez des femmes chefs d’entreprises qui travaillent sur des activités non concurrentielles, sur un même territoire géographique, et qui se réunissent tous les mois au cours d’un déjeuner et qui constituent « une manière d’évacuer la pression », «  de se sentir moins seules », de « pouvoir parler sans entraves », « de vider son sac » au sujet de l’entreprise.

Outre cette petite différence, l’étude montre surtout que l’homme entrepreneur gère son réseau selon une logique de don contre don alors que la femme aura une démarche plus opportuniste et pragmatique.

Nous constatons que l’homme est fidèle au réseau professionnel qu’il s’est constitué au fil des ans et aux communautés auxquelles il adhère : il crée ou reprend souvent des entreprises et des activités avec ses partenaires financiers et de direction de longue date, si toutefois la première expérience s’est avérée concluante. Au sein d’une communauté comme Réseau Entreprendre®, cette fidélité ne se manifeste pas nécessairement par une implication sans faille et élevée mais se caractérise donc par la durée. Même si certains entrepreneurs estiment « qu’ils ne savent pas très bien utiliser leur réseau », qu’ils s’en servent, in fine, très peu, ces hommes répondent souvent présents lorsqu’ils sont sollicités et échangent, font connaissance avec d’autres personnes, sans qu’il n’y ait de finalité pré-établie.

Il semble en être tout autrement de la femme entrepreneur qui s’implique généralement moins longtemps dans une relation de réseau : dans la très grande majorité des entretiens réalisés, la femme entrepreneur s’est séparée de son associé ou des partenaires clés dès lors que la mission envisagée est terminée. Il semble en être de même dans sa relation avec une communauté établie : Pragmatique, elle formule ce qu’elle attend du réseau de manière très précise et pragmatique : « Je cherche des conseils pour développer mon activité », « je ne suis pas assez bonne ou n’ai pas assez de connaissances sur ce sujet… donc, il faut que je m’investisse dans un réseau… ».  Une fois qu’elle a intégré la communauté, son implication est forte et réelle mais son désengagement peut-être aussi subi lorsque son objectif est atteint.

femme homme entrepreneur

 

Dans les deux cas, la communauté profite de l’implication de l’entrepreneur mais d’une manière différente : d’une part, une implication qui peut sembler plus passive mais durable ; d’autre part, une implication concrète, qui se manifeste dans le développement de commissions, dans l’organisation de réunions mais qui peut s’arrêter plus rapidement.

Néanmoins, quel est l’impact de cette différence en termes de nature d’engagement dans les réseaux pour l’homme et pour la femme entrepreneur ? Cet impact est de taille et semble être plus favorable à l’entrepreneur masculin à deux égards. Tout d’abord, présents dans les réseaux de manière durable, ces derniers peuvent mobiliser telle ou telle ressource lorsqu’elles s’avèrent nécessaires pour l’activité comme l’explique un membre de Réseau Entreprendre®, Directeur d’une entreprise spécialisée dans l’installation électrique en région Rhône-Alpes : « Je n’utilise pas le réseau pour récupérer des clients. Non. Mais il se trouve que le réseau parfois génère des opportunités d’affaires. J’ai ainsi pu y trouver un collègue lorsque je ne parvenais pas à assurer les contrats. J’ai aussi pu avoir des garanties pour des clients. Via telle ou telle personne, j’étais connu, donc digne de confiance… ».  Cette apport semble beaucoup plus limité pour la femme qui moins présente sur la durée, ne pourra pas jouer de l’effet de réputation, qui se construit souvent dans la durée.

Seconde limite pour la femme entrepreneur : elle s’implique et intègre un réseau lorsqu’elle en perçoit le besoin. Or, souvent, le besoin apparait lorsque la difficulté survient dans l’entreprise : un besoin de montée en compétences en matière de sélection de profils et de recrutement, un besoin concernant les démarches d’exportation de l’activité… Il est souvent presque trop tard pour la chef d’entreprise et pour l’activité… A contrario, l’homologue masculin se voit plus exposé aux présentations de nouveaux outils managériaux, de nouvelles méthodes de travail.

 

Comment expliquer cette différence de comportement ?

Plusieurs hypothèses peuvent être avancées… Les théoriciens du genre peuvent arguer que la femme, et surtout la femme entrepreneur, a besoin d’apprendre à travailler avec un réseau puisqu’elle n’a eu guère l’occasion de le faire durant sa carrière professionnelle. Interrogées sur leur implication dans un réseau, les femmes entrepreneurs répliquent souvent « Je n’ai simplement pas le temps ».
Cette perception de manque de temps s’explique de deux manières : la première par le fait que bon nombre de femmes entrepreneurs déclarent « souffrir » encore d’une nécessaire plus forte implication dans la vie familiale et dans l’éducation des enfants que leurs homologues masculins. Interrogés à ce sujet, ces derniers, en particulier les plus de 40 ans, reconnaissent volontiers « avoir délégué l’ensemble de ces missions à leur conjointe ». Or, les femmes qui réussissent le mieux la croissance de leur entreprise sont justement celles qui déclarent soit partager ces missions, soit les intégrer dans la vie de l’entreprise. Pour autant, dans ce dernier cas, l’intégration de la vie familiale au bureau ou des dossiers à la maison est souvent qualifié de source de « zapping », de nécessaire dispersion et donc de stress.

Second facteur qui semble encore plus déterminant : l’implication de la femme dirigeante dans l’intégralité des missions de l’entreprise, en particulier dans les missions opérationnelles comme la constitution de la paie, l’élaboration des plaquettes commerciales, etc. A contrario, leurs homologues masculins déclarent s’impliquer dans les missions de développement d’activité et dans les fonctions relevant de la stratégie de l’entreprise. Ce manque de délégation, qui s’explique aussi par le fait que très peu de femmes reprennent des entreprises et créent leur activité ex-nihilo…, nuit à la croissance de l’activité : faute de dirigeant qui se concentre sur la vision, l’entreprise stagne.

Au regard de l’importance du réseau dans la construction et la croissance de l’activité et de la manière avec laquelle les femmes entrepreneurs appréhendent la question du réseau, il nous semble pertinent d’émettre un plaidoyer pour accompagner les femmes entrepreneurs sur ce sujet et ne surtout pas limiter les mesures politiques européennes, nationales ou territoriales à ne surtout pas se limiter en la « simple » création d’entreprise et à l’augmentation du taux d’entrepreneuriat féminin. Si l’appartenance à plusieurs communautés et la création d’un réseau sont une des clés pour assurer la pérennité et la croissance de l’activité entrepreneuriale, alors l’accompagnement de la femme entrepreneur devrait, sans doute plus que pour son homologue masculin, se concentrer sur la construction et le pilotage d’un réseau ET sur la gestion du temps de travail et de l’art de la délégation.

Article invité par :
Séverine LE LOARNE – LEMAIRE est professeur associé à Grenoble Ecole de Management et administratrice indépendante d’entreprises. Auteur de nombreux ouvrages et manuels dont Management de L’innovation (2ème édition, Pearson), la boite à outils du chef d’entreprise (Dunod) et Femme et Entrepreneur : c’est possible (Pearson), elle est spécialisée dans le management de la croissance de l’entreprise par l’innovation et dans les stratégies adoptées par les femmes entrepreneurs pour la gestion de la croissance de l’activité.

Dany DELEDALLE, déléguée territoriale de Réseau Entreprendre®, est aussi pilote des cellules de réflexion sur l’entrepreneuriat féminin.


 
 

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